Intégration des pratiques éditoriales autochtones dans notre travail
June 29, 2018 | Alix Shield
Le 29 mai 2018, Deanna Reder (crie/métisse) et moi avons publié dans la revue d’études et de critiques Littérature canadienne un article intitulé « “I write this for all of you”: Recovering the Unpublished RCMP “Incident” in Maria Campbell’s Halfbreed (1973) ». Cet article numérique relate plusieurs histoires. La première, celle de Maria Campbell, auteure et militante métisse renommée, violée à l’âge de quatorze ans par des membres de la GRC. La deuxième, comment les documents d’archives de l’Université McMaster ont révélé le retrait délibéré par la maison d’édition McClelland & Stewart de la scène de viol dans l’autobiographie de Campbell, Halfbreed, et ce, à l’insu de l’auteure. Les deux pages retranchées, marquées d’un X rouge, sont reproduites intégralement dans notre article (avec la permission de l’auteure), restituant le récit autobiographique intégral de Maria Campbell, dans ce que devait être Halfbreed dans sa version originale.
Fruit d’une collaboration des six derniers mois, cet article a été rédigé en reconnaissant et en respectant les protocoles autochtones. Tout au long de sa rédaction, Maria Campbell a été consultée de façon assidue, par courriel et en personne, pour qu’elle se sente écoutée et appuyée.
Lors de nos travaux universitaires, Deanna et moi avons été témoins de nombreux écrits autochtones ayant fait l’objet de pratiques de révision destructrices. Pour tout dire, de nombreuses collaborations au XXe siècle entre des auteurs autochtones et des maisons d’édition non autochtones trahissent les façons dont le récit « dominant » dicte souvent le déroulement des relations de travail en collaboration (voyez, entre autres, les œuvres Legends of Vancouver de E. Pauline Johnson, Life Among the Qallunaat de Mini Aodla Freeman, Devil in Deerskins: My Life with Grey Owl d’Anahareo). Ces exemples mettent au jour les façons par lesquelles les auteurs autochtones ont bien souvent été forcés de modifier leurs œuvres pour se fondre dans un paysage éditorial mouvant. Ils révèlent aussi qu’ils ont été traditionnellement privés de la juste reconnaissance de leurs contributions littéraires.
Avec la publication récente dans la revue Littérature canadienne des pages radiées, l’on peut désormais lire l’autobiographie de Maria Campbell dans son intégralité, comme l’avait souhaité l’auteure il y a plus de quarante-cinq ans. En gardant à l’esprit les histoires entourant la publication d’ouvrages, comme Halfbreed de Campbell, il est temps maintenant pour les universitaires, les chercheurs, les éditeurs et les lecteurs de réexaminer d’un œil critique d’autres œuvres du XXe siècle écrites en collaboration avec des auteurs autochtones. Ce faisant, nous devons traiter soigneusement ces textes en veillant à adopter d’entrée de jeu des pratiques éditoriales autochtones et à donner à ces dernières corps et cœur.